Dans la tanière des espions

Le mur longeant le jardin de l’ancienne ambassade des États-Unis à Téhéran est fameux : il est décoré de graffitis anti-américains. La représentation la plus connue est la Statue de la liberté dont la tête a été remplacée par un crâne. Les relations entre l’Iran et les États-Unis sont depuis longtemps conflictuelles.

L’Iran a longtemps été sous la tutelle de puissances étrangères qui ont exploité ses richesses naturelles et sa situation géopolitique pour consolider leur propre influence dans la région : la Russie, la Grande-Bretagne et les USA.

Au début des années 1950, le Premier Ministre laïque Mohammad Mossadegh, qui a voulu nationaliser le pétrole iranien, a été renversé lors d’un coup d’Etat orchestré par la CIA. Il en est resté une rancune profonde à l’égard de l’Occident et surtout des États-Unis.

Le bâtiment de l’Ambassade américaine à Téhéran a joué un rôle important dans l’histoire récente. Jusqu’en 1979, il était le centre d’opération de la CIA en Iran et dans le Moyen-Orient.

En novembre 1979, 400 gardiens de la Révolution islamique prennent d’assaut l’ambassade et retiennent 52 employés en otage. Le siège de l’ambassade et la prise d’otages durent 444 jours, une période de tension internationale extrême.

Le bâtiment de l’ambassade est fermé au public. Pendant un temps, il abritait un musée „anti-arrogance“. Lorsque nous arrivons, l‘avant-dernier jour de notre séjour en Iran, pour voir les fameux graffitis, le portail est fermé et la clôture gardée par des caméras.

Soudain, un homme apparaît de l’autre côté de la barrière. Il nous regarde d’un air inquisiteur et nous adresse la parole : « Czechoslovakia? » Nous hochons la tête. La partition de la Tchécoslovaquie est un événement qui a échappé à plus d’un dans cette partie du monde. « You want to come in? » demande-t’il tout à coup. Nous sommes sidérés. Mais notre guide acquiesce avec empressement ; c’est une occasion à ne pas manquer.

Le portail s’ouvre lentement et nous entrons. Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Ne sommes-nous pas en train de faire quelque chose de dangereux ? Qui est cet homme ?

Nous passons à côté d’affiches anti-américaines et de pièces d’hélicoptère érigées en monument dans le jardin. Ce doit être l’épave de l’opération Eagle Claw, hélicoptère envoyé par le président Carter en 1980 pour libérer les otages, et qui a crashé dans le désert. Ça donne le frisson.

L’ambassade est restée pratiquement inchangée depuis la prise d’otages. J’ai l’impression de faire un voyage dans le temps. Un escalier mène au premier étage où la visite guidée commence.

Notre guide est un homme mince, de taille moyenne et aux yeux de braise. Est-il un ancien gardien de la Révolution ? Peut-être. Il nous laisse prendre des photos. Ses explications en farsi sont interprétées vers le tchèque par notre guide Vladimír.

Rien ne semble avoir changé depuis 1979. Les couloirs sont miteux, la peinture écaillée. Certains murs ont été refaits, décorés de graffitis ou pourvus de vitrines.

Le guide nous montre une exposition d’appareils d’espionnage américains, de photos des otages, d’images commémoratives de combattants de la Révolution, de documents confisqués dans la « tanière des espions américains » et d’installations bizarres.

Dans les autres salles et les couloirs, on trouve toute sorte d’équipements : des machines à écrire, des télégraphes, des appareils de codage, des émetteurs satellite, des broyeurs de documents. A côté de rouleaux de papier se trouvent des aérosols, des colles et des classeurs. Ce matériel aurait été utilisé pour saper la Révolution islamique.

La « Salle de contrefaçon de documents »

Broyeur de documents

Émetteurs satellites (probablement)

Les réunions les plus secrètes avaient lieu dans une salle confinée, dotée d’une isolation phonique. Ici, les agents de la CIA auraient comploté contre l’Iran et d’autres puissances régionales.

Un portrait de l’Ayatollah Khomeyni est apposé au-dessus de la porte entrouverte de la salle 201. Des mots en farsi ont été écrits sur la paroi à droite, la phrase anglaise se trouvant en-dessous en est probablement la traduction : « There is no time for imperialism in Iran anymore ». Le tout a l’air sinistre et menaçant. Je me demande si les otages ont été retenus derrière cette porte.

La visite est terminée, nous redescendons au rez-de-chaussée et prenons congé de notre guide. Il nous a livré un exposé passionnant de la Révolution islamique et des méfaits américains. Je ne sais pas combien de temps nous avons passé dans le bâtiment de l’ambassade. Une demi-heure, une heure ou plus ? Cette visite a été tellement incroyable que je l’ai vécue comme en transe, comme dans un rêve. Nous traversons le jardin. Le portail se referme et nous sommes de retour dans le présent.

***

J’ai hésité avant de publier ce texte. Cette visite ne devrait-elle pas rester un secret ? Le guide avait-il le droit de nous laisser entrer ? Ma sécurité n’est-elle pas en danger maintenant ?

Entre-temps, d’autres groupes ont visité l’ambassade. Des reportages ont été faits et des vidéos tournés. Apparemment, elle n’est plus fermée au public.

Le voyage en Iran a eu sur moi un impact mémorable et j’aimerais un jour y retourner. L’Iran est un pays merveilleux, avec une histoire tourmentée et des gens formidables . J’espère qu’on reprendra le dialogue pour que le pays puisse sortir de son isolement, que les relations avec les États-Unis vont s’améliorer et que les sanctions qui frappent durement la population seront levées.

Merci à Eloïse Adde pour la correction linguistique du texte.

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