L’Azerbaïdjan, pays controversé

Ce texte est le contenu d’une conférence que j’ai tenue à la cafétéria de mon employeur, la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg.

Le Comité du personnel organise un cycle de présentation appelé “Vendredi ça me dit”. Chacun, chacune parmi les employés peuvent présenter un thème, un domaine de connaissance en dehors de l’activité professionnelle, une expérience personnelle, un hobby particuler. On découvre les collègues sous un autre jour. Je participe en présentant certains de mes voyages en-dehors du monde occidental.

La veille de ma présentation, Laurent, l’organisateur, m’appelle. Un membre du personnel, un collègue de la Cour, s’est plaint du sujet de la conférence. L’Azerbaïdjan serait une dictature agressive et corrompue, où les libertés civiles ne sont pas respectées. Je suis frappée, perturbée même.

Mon critique a raison : l’Azerbaïdjan n’est pas une démocratie libérale et pluraliste; on pourrait le qualifier de dictature. Peut-on faire une présentation d’un tel pays, et si oui, comment? Uniquement pour le critiquer? Peut-être que mon critique pense que ma présentation est de la propagande déguisée et que je suis payée par le régime azerbaïdjanais pour la faire.

J’ai voulu répondre à ces objections et j’y ai consacré l’introduction de ma présentation.

“Chers collègues!

Est-il répréhensible de faire une présentation sur un pays totalitaire? Certains le pensent. Plusieurs pays que j’ai visités et dont j’ai parlé dans le cadre du “Vendredi ça me dit” sont des pays totalitaires. J’ai réfléchi à la question. Le fait que je m’intéresse à un pays ne veut pas dire que je suis d’accord avec son régime. Je ne fais pas ici la propagande du régime azerbaïdjanais. Il est vrai que l’Azerbaïdjan n’est pas une démocratie libérale, c’est une autocratie consolidée qui est souvent critiquée – à juste titre – pour son manque de démocratie, de respect pour les libertés civiles et pour la répression des opposants politiques.

Les pays en-dehors du monde occidental et leurs habitants m’intéressent parce qu’ils sont différents et parce que je veux comprendre leur mentalité et leur perspective. En tant qu’interprète je dois être capable de changer de perspective, c’est indispensable pour la compréhension. Comprendre ne signifie pas accepter aveuglement tout ce que disent les représentants d’un régime ou tout ce que l’on entend dans la rue. J’ai travaillé toute ma vie dans la communication internationale, pour la compréhension entre les peuples et les individus, et je sais une chose : la communication est meilleure que l’affrontement, l’isolement ou le rejet.

L’Azerbaïdjan est situé en Asie de l’Ouest, bordé par la mer Caspienne à l’est, la Russie au nord, la Géorgie au nord-ouest, l’Arménie à l’ouest et l’Iran au sud. La capitale, Bakou, se trouve sur la côte de la mer Caspienne. Le pays présente une grande diversité géographique, avec des montagnes, des plaines et des steppes. Il est riche en ressources naturelles, principalement en hydrocarbures – pétrole et gaz naturel. D’importantes réserves se trouves offshore dans la mer Caspienne.

L’Azerbaïdjan est un pays musulman. La majorité des Azerbaïdjanais sont des musulmans chiites, mais le pays est laïque et les pratiques religieuses sont modérées. Je n’hésite pas à dire que l’Azerbaïdjan est le pays le plus libéral du monde musulman.

Politiquement, l’Azerbaïdjan est une république présidentielle où le président exerce une influence significative sur le gouvernement. L’actuel président est Ilham Aliyev, le fils de Heydar Aliyev, l’ancien président qui jouit d’un statut culte. Partout on voit des affiches avec son portrait.

(Remarque: Je regrette avoir choisi cette carte pour marquer les endroits que j’ai visités. La localisation des mentions “Azerbaijan” dans le territoire arménien en haut à gauche, et “Armenia” dans le territoire azerbaïdjanais, n’est pas correcte. Un participant a attiré mon attention sur cette irrégularité.)

Voici quatre endroits que j’aimerais vous montrer: Bakou, Besh Barmaq, Khinaliq, Sheki et Göygöl.

Mais avant de le faire, permettez-moi de donner un bref aperçu de l’histoire du XXème siècle et du conflit avec l’Arménie.

Au début du XXème siècle, l’Azerbaïdjan faisait partie de l’Empire russe du tsar. Suite à la révolution russe en 1917, la région connaît des bouleversements politiques et sociaux importants et l’Azerbaïdjan proclame son indépendance en 1918.

Cette indépendance fut de courte durée. En avril 1920, l’Armée rouge envahit le pays et l’incorpore à l’Union soviétique. Pendant l’ère soviétique, il connaît des répressions politiques mais bénéficie également d’une industrialisation rapide et d’une modernisation de l’infrastructure.

Pendant la perestroïka et la glasnost dans les années 1980, le sentiment nationaliste s’intensifie. Avec la dislocation de l’URSS, l’Azerbaïdjan restaure son indépendance en 1991.

Le conflit au Haut-Karabakh

Le Haut-Karabakh est une région montagneuse située à l’intérieur de l’Azerbaïdjan mais qui a été peuplée majoritairement d’Arméniens. Les tensions entre Arméniens et Azerbaïdjanais remontent à la période tsariste, mais elles ont été exacerbées sous le régime soviétique. En créant les républiques socialistes sur la carte, Staline a incorporé le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan, au lieu de le rattacher à l’Arménie et tracer la frontière ailleurs. Ainsi, les conflits ethniques étaient inévitables.

A l’époque soviétique, les questions nationales étaient taboues. Le régime soviétique aspirait à une fusion des nations et tout était orchestré sous la direction du parti communiste, aucun mouvement nationaliste n’était toléré.

Dans les années 1980, des manifestations arméniennes pour le rattachement du Haut-Karabach à l’Arménie éclatent, menant à des violences interethniques. En 1988, le parlement du Haut-Karabach vote pour le rattachement à l’Arménie, ce que l’Azerbaïdjan refuse.

Depuis, deux guerres ont eu lieu – avec des effets dévastateurs des deux côtés. De lourdes pertes et des déplacements massifs de populations civiles, des deux côtés. Après la première guerre qui a été gagnée par l’Arménie, des Azerbaïdjanais ont été chassés de l’Arménie et du Haut-Karabach, et des Arméniens de l’Azerbaïdjan. La deuxième guerre qui a eu lieu récemment, a été gagnée par l’Azerbaïdjan qui a repris le contrôle du Haut-Karabach. Il faut voir aussi que pour l’Azerbaïdjan il était difficile d’accepter qu’une partie non négligeable de son territoire ne soit pas sous son contrôle. En droit international, la République d’Artsakh, le Haut-Karabach, n’a été reconnue par aucun autre pays, même pas par l’Arménie. Après la deuxième guerre, les Arméniens de la région ont quitté le Haut-Karabach. Le régime azerbaïdjanais dit qu’ils auraient pu rester mais je ne pense pas qu’une coexistence paisible soit possible dans la situation actuelle. L’exode des Arméniens du Haut-Karabach est déplorable, Stepanakert est devenue une ville fantôme.

Pour savoir davantage sur l’histoire du conflit je recommande ce livre du journaliste et historien britannique Thomas de Waal. Il a été publié avant la deuxième guerre en 2020, mais j’espère qu’il y aura une nouvelle édition.

Beaucoup sont d’avis que l’Azerbaïdjan est le seul méchant et l’Arménie la seule victime dans ce conflit, mais la réalité est peut-être un peu plus compliquée. Les deux parties se sont fait beaucoup de mal et il ne suffit pas de voir ce conflit uniquement à travers le prisme du terrible génocide arménien de 1915, perpétré par l’Empire ottoman, en disant qu’une victime de génocide ne peut pas faire du mal à d’autres.

Comme d’autres conflits, le conflit arménien-azerbaïdjanais est transgénérationnel. Y aura-t-il un jour une réconciliation, la paix entre les deux peuples? L’antagonisme entre les Arméniens et les Azerbaïdjanais est extrême et je n’ai pratiquement rencontré personne dans les deux pays qui ait une attitude positive ou non hostile vis-à-vis de l’autre. Si la paix est possible, un jour, elle aura demandé beaucoup de bonne volonté et des efforts énormes des deux côtés.

Nous sommes partis en Azerbaïdjan le 25 mars de cette année et revenus le 10 avril. La première station de notre voyage a été Bakou. La capitale est une ville où tradition et modernité se côtoient.

La vieille ville, le cœur historique de Bakou, est entourée de remparts médiévaux et abrite de nombreuses mosquées, caravansérails et hammams. Se promener dans ses ruelles étroites, c’est plonger dans l’histoire.

Hotel Utopia

L’Hôtel Utopia où nous avons logé.

Palais Shirvanshah

Flame Towers

Ces trois gratte-ciels en forme de flamme dominent la skyline de la ville et sont visibles de presque partout. La nuit, ils sont illuminés et offrent un spectacle impressionnant, rappelant le surnom du pays, « terre de feu ». Ils abritent des bureaux, des résidences de luxe et un hôtel cinq étoiles.

Œuvre de la célèbre architecte Zaha Hadid, le Centre Heydar Aliyev est un chef d’œuvre de l’architecture contemporaine. Ce bâtiment aux courbes fluides est un centre culturel et social et abrite un musée, une salle de conférence et des espaces d’exposition.

Le Boulevard de Bakou est une promenade longeant la mer Caspienne, avec une vue imprenable sur la ville et la mer.

A Bakou, nous avons loué une voiture et sommes partis à la découverte du pays. Beshbarmaq Dagi, la montagne des Cinq Doigts dans le nord de l’Azerbaïdjan, est un rocher mystique de forme phallique qui attire principalement des pélerines espérant une aide divine pour tomber enceinte. Des hommes saints attendant dans des recoins rocheux sont censés les aider – mais uniquement par des prières. J’ai gravi les marches raides de pierre menant à une petite maison nichée en haut de la montagne. À l’intérieur, il y avait des coussins et un tapis, mais pas d’hommes saints.

Voilà notre voiture, une Nissane, en route au Grand Caucase, dans une gorge rocheuse.

Le Grand Caucase est une chaîne de montagne très haute, plus de 4000 m, à l’Ouest plus de 6000 m, et même pour quelqu’un comme moi qui ai grandi dans les Alpes, il offre des panoramas époustouflants.

Le village de Khinaliq est situé à 2300 m d’altitude. Des recherches archéologiques ont montré qu‘il remonte à l’âge du bronze. Ses habitants ont leur propre langue qui utilise l’alphabet latin et comporte 72 lettres.

Nous étions les seuls touristes et avons passé une journée fantastique à nous promener dans ce village ancien, entouré d’un panorama hallucinant de beauté.

Le salon de thé étant fermé …

… nous avons visité le cimetière.

Vous allez vous demander où nous avons logé.

Nous avons logé chez Zaur et sa femme.

Dans les villages du Caucase, c’est un séjour chez l’habitant, pas une maison d’hôtes classique. On vit avec les habitants et voit comment ils  vivent. On dort sous le même toit, on utilise les mêmes installations et mange à la même table.

Ne vous attendez pas à des toilettes intérieures dans ces endroits: il y a une toilette turque de l’autre côté de la cour ouverte, et une douche modeste. En mars, les nuits sont encore glaciales ( -10 la nuit). Dans la maison, seule la salle de séjour est chauffée, les chambres ne le sont pas, mais on peut brancher un radiateur. Du thé chaud est toujours disponible.

Le quatrième endroit dont j’aimerais vous parler et le Palais Xan Sarayi à Sheki au nord-ouest du pays.

Ce palais, la résidence d’été des khans de Sheki (1762), est d’une grande beauté. Sa façade combine des voûtes stalactites argentées avec des motifs géométriques en bleu, turquoise et ocre.

À l’intérieur, la lumière colorée traverse des (vitraux. L’intérieur est vraiment magnifique, avec des motifs muraux somptueux, dont beaucoup sont floraux, des scènes de bataille, et au plafond, j’ai remarqué des représentations libérales et explicites de femmes, quelque chose de très inhabituel dans les arts visuels islamiques. (Des scènes similaires peuvent être trouvées dans des palais persans).

Pour terminer, une petite ville du nom de Göygöl à l’ouest du pays. Autrefois, elle s’appelait Helenendorf et était une ville allemande fondée en 1819 par des Souabes du Wurtemberg, à l’invitation de la soeur du tsar Alexandre I. Ils étaient luthériens et ont apporté leur savoir-faire artisanal. Entre autres, ils se dédiaient à la viticulture. Le vin des colonies allemandes était vendu jusqu’à Moscou et Saint-Pétersbourg.

Après l’invasion de l’Union soviétique par Hitler, les colons allemands furent déportés en Asie centrale, en raison de leur appartenance ethnique. Beaucoup sont morts dans des camps de travail.

Maison de Viktor Klein

Le dernier Allemand à Helenendorf, qui s’appelait désormais Göygöl, était Viktor Klein. Le monsieur sur la photo n’est pas Viktor Klein, mais un fonctionnaire local qui nous a montré sa maison. La mère de Viktor était allemande, son père polonais, et c’est grâce à son père qu’il n’a pas été déporté en 1941 et a pu rester à Helenendorf. Il est décédé en 2007. Sa maison est en cours de rénovation et sera transformée en musée. Au milieu de l’Azerbaïdjan, Helenendorf ressemble à un fragment d’un autre monde.”

 

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