Au pays des Ayatollahs

La pandémie nous tient en haleine. A l’heure où l’on parle d’un timide retour à la vie normale dans d’autres pays, un nouveau confinement a été imposé en République tchèque. Voyager est toujours difficile, voire impossible, mais rêver est permis. J’aimerais vous parler d’un pays qui fait rêver et qui fait peur en même temps : l’Iran. Il y a quatre ans, j’ai eu l’occasion de le visiter. Ce fut une expérience inoubliable.

Pourquoi l’Iran ? Les pays situés hors des sentiers battus m’ont toujours intéressée. Quand on disait Iran autrefois, on pensait au visage sombre et austère de l’Ayatollah Khomeyni, à la Révolution islamique, à des images sinistres, mystérieuses et inquiétantes. Mais aussi, l’Iran, c’est aussi le désert, des mosquées magnifiques, des villes envoûtantes comme Ispahan ou Téhéran.  

En été 2017 nous nous mettons en route pour Téhéran, avec un petit groupe de Tchèques guidé par le jeune et charismatique Vladimír Váchal 

 Vladimír connaît l’Iran et parle couramment farsi.  

Partir au mois d’août en Iran n’est pas idéal car il fait une chaleur d’enfer. Contrairement à mes craintes, je le supporte assez bien. En ville, le climat est sec et la température est de 40- 45 degrés ; il faut boire beaucoup et rester à l’ombre. Au bord du Golfe persique, l’humidité fait monter la température ressentie à plus de 50 degrés et nous avons besoin de nous réfugier régulièrement dans des endroits climatisés.  

Les prescriptions vestimentaires pour les femmes sont parfois une source de préoccupation. En Iran, toutes les femmes, même étrangères, doivent porter le voile. Il n’est pas nécessaire de couvrir la totalité des cheveux, un foulard suffit. Il arrive parfois que mon voile glisse ; je le remets tout simplement. La police morale ne m’interpelle pas. Certes, elle est plus tolérante envers les touristes étrangères qu’envers les Iraniennes. A la campagne, le tchador est toujours répandu, mais en ville, on voit souvent des femmes voilées à moitié.   

 

Cette jeune beauté a accepté de poser en photo dans le bazar de Kerman.  

 

Notre voyage est un périple. A l’aéroport de Téhéran, nous prenons un vol intérieur pour Kerman dans le sud-est. Ensuite, un bus de nuit nous amène à Yazd, ville du désert au centre du pays. Pour retourner dans le sud, nous prenons un train de nuit. Sur le Golfe persique, à Bandar Abbas, un ferry nous emmène à l’île de Qeshm, où nous louons une jeep avec plate-forme ouverte. C’est l’aventure. En autocar, minibus ou taxi collectif, nous remontons vers le nord, en passant par Persépolis, Ispahan et Chiraz, pour retourner à Téhéran, notre point de départ. 

Les Iraniens n’ont rien avoir avec l’image que s’en font beaucoup d’Occidentaux. Ils ne sont pas austères et durs, au contraire : la plupart du temps, ils se montrent avenants et chaleureux. Ils manifestent un grand sens de l’accueil et une immense curiosité. Il m’arrive souvent que des inconnus m’arrêtent dans la rue pour me dire : « Welcome to Iran! », échanger quelques mots et prendre une photo. 

La mauvaise réputation de l’Iran a beaucoup à voir avec la Révolution islamique. Les Iraniens sont perçus comme un peuple de forcenés scandant « Mort à l’Amérique ! », couvrant leurs femmes de tchadors noirs et soutenant un régime fanatique et rétrograde. En dépit de la Révolution et des lois religieuses strictes, les visiteurs sont reçus avec un empressement et une gentillesse presqu’embarrassants. 

L’immense majorité des Iraniens vivent en ville, dans des appartements modestesLe prix du loyer est élevé et dans la classe moyenne, le mari et la femme travaillent. L’éducation occupe une place importante dans la société et le taux d’alphabétisation dépasse celui des pays voisins. Je suis surprise par le niveau de connaissances de l’anglais de beaucoup de personnes qui n’ont jamais été à l’étranger.  

Le mariage et le fait d’avoir des enfants sont considérés les états les plus bénéfiques de la vie, ce qui lui donne un sens et relève aussi de la norme. Les Iraniens n’hésitent pas à vous poser des questions personnelles comme : « How many children do you have ? » et si vous n’en avez pas, on s’apitoie sur votre sort.  

 

 Le pays des martyrs 

 

L’Iran est le pays des martyrs. Les combattants tués dans la guerre entre l’Iran et l’Irak sont considérés comme des martyrs. Pour la première fois depuis la Première Guerre mondiale, ce fut une guerre prolongée de tranchées durant laquelle on recourut à l’usage de gaz toxique. Des enfants de 13 ans sont envoyés pour déminer les champs de mines qu’ils traversent à pied sans précaution ; ils sont persuadés qu’ils iront droit au paradis. Des millions de personnes trouvent la mort, sont blessées ou déplacées. En 1988, un cessez-le-feu est négocié mais des échanges de prisonniers s’effectuent encore en 2003, à la veille de l’intervention alliée en Irak. 

Des photos de soldats iraniens morts au combat sont placardées dans toutes les villes et il se passe rarement une journée sans que la télévision ne diffuse l’interview d’un vétéran. Les tulipes sont les fleurs des martyrs et mieux vaut éviter de porter des vêtements avec ce motif.  

 

La monnaie 

 

En Iran, il n’y a pas de distributeurs automatiques de billets et les cartes de crédit ne fonctionnent pas. Il faut payer en espèces. La monnaie officielle est le Rial. Or la plupart des prix sont affichés en Toman, 1 Toman équivalant à 10 Rials. Ce billet vert est appelé « Khomeyni » et je pense qu’il équivaut à un peu plus de 4 euros. « Combien ça coute ? Quatre Khomeyni! » 

 

La Révolution islamique 

 

Le portrait de l’ayatollah Khomeyni est omniprésent : dans les rues, dans les bars, dans les entrées de métro. Quelle place occupe-t-il dans la conscience collective des Iraniens ?  

Durant le règne du dernier Chah, Reza Pahlavi, il y a eu des mouvements de résistance divers. Dans les années 70, en raison de la mauvaise gestion du pétrole, l’économie va de mal en pis. Le Chah se voit toujours en monarque absolu et sa police politique, la Savak, est tristement célèbre pour son recours à la torture. En 1978, de grandes manifestations et affrontements se produisent. Le 16 janvier 1979 (aujourd’hui fête nationale), Reza Pahlavi et sa troisième épouse Farah Diba fuient le pays.  

L’opposition est hétérogène, intégristes musulmans et gauchistes soutenus par l’Union soviétique. Leur leader est l’ayatollah Khomeyni, vivant en exile en France. Ceux qui le voient comme une sorte de ghandi chiite se trompent. Khomeyni est un nationaliste et islamiste enflammé. Le 1er février 1979, il retourne triomphalement à Téhéran et est reçu par une foule enthousiaste de 4 à 5 millions de personnes.  

Il veut un nouvel Iran, libéré des influences étrangères, et instaure une république islamique dominée par le clergé chiite. Le port du voile devient obligatoire pour les femmes, les journaux et les partis d’opposition sont interdits. Beaucoup choisissent l’exil. 

Khomeyni meurt en 1989. Ses funérailles sont les plus imposantes du monde, avec un cortège de 10 millions de personnes. Le gigantesque mausolée de l’ayatollah est aujourd’hui un lieu de pèlerinage. Nous voulons le visiter mais il est en restauration et fermé.    

Yazd 

 

Au cœur du pays se situe Yazd, une cité ancienne du désert que j’ai beaucoup aimée. Autrefois relai essentiel pour les caravanes en route vers l’Asie centrale et l’Inde, qui transportaient soieries, textiles et tapis, la vieille ville est classée parmi les plus anciennes du monde. Ses maisons couleur ocre sont faites de briques crues tannées par le soleil. 

Nous sommes logés dans une auberge traditionnelle, l’hôtel Orient, avec une vue splendide sur les minarets de la mosquée Jameh, d’une hauteur exceptionnelle, construite au XVe siècle. Le portail, très haut lui aussi, est couvert de magnifiques carreaux de faïence. Le bleu et le bleu turquoise sont les couleurs du ciel et du paradis ; elles protègent aussi contre le mauvais œil.  

Le vendredi matin, la mosquée est le théâtre d’un spectacle étrange : les femmes célibataires montent au sommet des minarets. Leur foulard est retenu par une sorte de cadenas dont elles jettent la clé dans la cour de la mosquée. Si un homme la ramasse, la femme redescend, lui permet d’ouvrir le cadenas et lui offre des friandises. La croyance populaire veut qu’ils se marient rapidement.  

Sur la place principale de Yazd se trouve le complexe Amir Chaghmagh, un ensemble étonnant à trois étages regroupant une mosquée, un bazar, un caravansérail, un bain public et une confiserie. Au coucher du soleil, une douce lumière se reflète dans les arcades, produisant un effet spectaculaire. 

Notre guide Vladimír connaît maintes astuces et raccourcis et nous emmène sur les toits du bazar. Les badgir, les tours de vent, offrent une climatisation naturelle grâce à un système ingénieux de circulation de l’air.  

 

 La circulation 

 

La traversée des rues en Iran s’apparente à la roulette russe, en plus périlleux. On a intérêt à traverser en nombre : attendez que d’autres candidats à la traversée vous rejoignent et jetez-vous à l’eau. La Paykan, marque de voiture iranienne, est produite depuis les années 60 du XXe siècle. Elle n’a pas de pot catalytique et produit donc une pollution considérable. Quelque temps après notre voyage, notre guide Vladimír s’achètera une Paykan pour faire le trajet de Téhéran à Prague. 

 

L’ile de Qeshm 

 

L’île de Qeshm dans le Golfe persique abrite des chameaux sauvages et offre des randonnées dans des sites géologiques spectaculaires, tel que le canyon de Tchakhouh 

 

Chiraz 

Berceau de la culture persane et symbole de la poésie, des roses et du vin, Chiraz est une importante cité du monde islamique médiéval. Le Mausolée Shah Cheragh est un site de pèlerinage célèbre en Iran et abrite les reliques du frère de l’Imam Reza, mort à Chiraz en 835. Pour entrer au mausolée, les femmes doivent revêtir le tchador. Nous avons emprunté un tchador à fleurs à la réception.  

Les superbes vitraux colorés de lsalle de prière de l’élégante mosquée Nasir-olMolk sont très inhabituels pour une mosquée islamique. Ils ont été créés pour recevoir la lumière du matin. 

 

 Persépolis 

 

La légendaire Persépolis, fondée en 521 avant J-C par le roi achéménide Darius, était la capitale de l’Empire perse. Sur plus de 125 000 m2, elle comprend un vaste complexe palatin érigé sur une terrasse monumentale. A son extension maximale, l’Empire perse s’étend des Balkans jusqu’à l’Indus, de la mer d’Aral jusqu’au sud de l’Egypte, soit 7 500 000 km2.  

On y pénètre par un imposant escalier dont les marches étroites permettaient aux perses, revêtus de longues tuniques, de les gravir avec majesté. Ensuite, les délégations passaient par la Porte des Nations, flanquées de deux statues de taureaux ailés à tête humaine, pour rendre hommage au roi perse.   

Lorsque le fils de Darius, Xerxès, met à sac Athènes, Alexandre le Grand décide de se venger et lance une campagne en Asie. Les Perses finissent par être vaincus. En janvier 330 avant J-C, Alexandre entre à Persépolis. En mai, il ordonne l’incendie des palais et le massacre de leurs habitants. La légende veut qu’il aurait jeté lui-même la première torche, sous l’influence du vin et d’une courtisane. Après, il aurait amèrement regretté sa décision. 

Ispahan 

 

Naqs-e Jahan signifie « moitié du monde ». 512 mètres de long, 163 mètres de large, cette place d’Ispahan est la plus grande du monde après Tiananmen à Pékin. Elle abrite un ensemble de monuments grandioses qui n’a pas son pareil dans le monde islamique. 

Le dôme de la Mosquée du Sheikh Lotfollah sur la place Naqs-e Jahan est recouvert de faïence de couleur pâle et adopte toutes les nuances, selon la lumière du jour. Le jaune est la couleur de l’esprit divin. 

Des spirales vertigineuses arborent des inscriptions qui montent vers la coupole. Cette mosquée est d’une beauté éblouissanteNous nous asseyons par terre pour la parcourir des yeux … 

Mais le temps presse, il faut retourner à Téhéran, point de départ de notre périple. L’avant-dernier jour, une aventure surprenante nous attend. Elle sera mon thème pour la prochaine fois.   

 Photo de groupe à Meybod 

 

Je remercie Eloïse Adde pour la correction linguistique de mon texte.

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